lundi 23 février 2009

Dans la cave

Dans la cave où je suis, il y a un soupirail. Depuis ce soupirail, je vois les jambes des passants qui vont et qui viennent dans la rue pavée. Depuis ce soupirail, j'ai vu les défilés de toutes les modes.
Automne, hiver, été.
Les passants sans passé qui ne me verront jamais. Des jambes sans tête, pas une oreille pour m'entendre crier.
Dans la cave où je suis enfermé, il y a un soupirail. Depuis le temps où je suis enchaîné, je ne sais plus bien ce qu'on me reproche. Peut-être le pire, peut-être rien.
Les fers qui enserrent ma main comme les crocs d'une bête ne me font plus souffrir.
Je regarde ma main peu à peu devenir chair et de chair devenir os et d'os devenir une chose sans nom qui va bientôt tomber comme le sable du sablier finit par tomber.
Parfois un chien, un chat viennent à la fenêtre du soupirail. Leurs têtes élastiques s'avancent vers moi et leurs yeux vagues semblent avoir pitié de moi. Leur sort me ferait presque envie. Ils tâchent de survivre mais sont à l'air libre.
J'ai des amis par milliers. Des gouttes de pluie qui se sont perdues. Le vent qui vient siffler quelques notes étouffées.
Des fourmis, des scarabées, des cafards, des rats qui trouvent tous que dans cet entonnoir la vie vaut d'être vécue.
De déjections en déjections, j'ai fini par croire que la terre avait ordinairement cette odeur de merde.
Je dors dans la fange et je me réveille dans la folie.
Dans la cave où je suis, il y a un soupirail.

10 commentaires:

  1. Cette cave fait peur.

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  2. A anonyme : ce qui m'a intéresse c'est surtout le point de vue du bas vers le haut que permet la vue du monde depuis un soupirail.
    Surtout pour un être enchainé.

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  3. Renzo... j'ai toutes les peines du monde à poster sur ton blog... c'est au moins ma troisième note qui se perd je ne sais où... Dans ma précédente égarée… je disais que je trouvais ce texte très Kafkaïen... En même temps il me faisait penser à « L’homme qui aimait les femmes » de Truffaut, avec Charles Denner, quand il regarde passait les jambes de femme à travers le soupirail…
    On a tous besoin d’un soupirail… quand il n’y en a pas… on peut toujours l’imaginer…
    Dans l’espoir que mon petit commentaire finisse bien cette fois dans tes commentaires… et non dans les caves sans soupirail d’un serveur aux enfers… Amitié…

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  4. Andrea : il y a effectivement eu un souci technique qui est réparé.
    Oui il y bien une référence au Procès de Kafka. C'est un peu comme une terreur que j'ai depuis l'enfance , celle de l'enfermement sans motif.
    J'ai vaguement le souvenir du film avec Charles Denner ( fasciné par les bas dans mon souvenir ) et un acteur formidable.
    Merci de votre passage. Amitié également

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  5. texte d'une subtilité et d'une sensibilité remarquables !
    Renzo you're the one !!
    Car dans ma cave aussi, il y a un soupirail...

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  6. khalil : Je te souhaite d'avoir de nouveau de la hauteur. Et de revoir des ciels bleus, les airs bleus qui sont destinés aux poètes et aux âmes vraies.

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  7. Allez j'essai de nouveau de poster mon commentaire ! :-) Amusant que quelqu'un cite "L'homme qui aimait les femmes" de truffaut, j'en avais justement extrait les mots en titre d'une des images, en lien ci-dessous ! :-)
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    J’aime beaucoup ce texte, Renzo. Des mots au diapason du monde, dans son rapport le plus intime avec l’être.
    Tiens, voici ce que j’ai vu, en matière de jambes, depuis mon propre soupirail (lol) :

    http://chatlibre.blog.lemonde.fr/2009/01/14/shes-got-legs/
    http://chatlibre.blog.lemonde.fr/2007/11/07/beau-comme-des-jambes-de-femmes/
    http://chatlibre.blog.lemonde.fr/2007/10/07/les-jambes-des-femmes-sont-des-compas/

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  8. pourquoi toute cette obscure?
    à un moment j'ai eu peur mais vraiment peur.
    :-(

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  9. A maya : C'est oscur oui je te l'accorde. La cave peut aussi être vue comme une métaphore de tous les enfermements.

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  10. "Les passants sans passé qui ne me verront jamais. Des jambes sans tête, pas une oreille pour m'entendre crier."
    Sublimes paroles.C'est noir mais c'est bien éclairé.Finalement le soupirail peut lui aussi amener de la lumière.

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